Le Maroc et le consortium NewMed Energy-Adarco Energy lancent l’exploration gazière au large de Boujdour
Le Maroc accélère ses ambitions énergétiques avec l’octroi d’une licence d’exploration gazière au large de Boujdour, dans le Sahara marocain, au consortium israélo-marocain NewMed Energy-Adarco Energy. Ce projet, bien qu’économique à première vue, s’inscrit dans un contexte géopolitique complexe, marqué par les relations Maroc-Israël, la question du Sahara occidental et les rivalités régionales avec l’Algérie.
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Coopération Maroc-Israël : un rapprochement stratégique
La collaboration entre NewMed Energy (ex-Delek Drilling), géant israélien du gaz, et le Maroc est un héritage direct des accords d’Abraham de 2020, qui ont normalisé les relations entre les deux pays. Ce partenariat énergétique renforce les liens économiques et diplomatiques, avec des investissements israéliens croissants dans les secteurs marocains de la défense, de l’agriculture et désormais des hydrocarbures. Pour Rabat, ce rapprochement avec Israël sert aussi à consolider son alliance avec les États-Unis, principal soutien à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Toutefois, cette coopération n’est pas sans controverse. Une partie de l’opinion publique marocaine, attachée à la cause palestinienne, critique cette normalisation, perçue comme une trahison. Le gouvernement marocain, lui, justifie ce choix par des impératifs économiques et sécuritaires, notamment dans un contexte de flambée des prix de l’énergie.
Sahara occidental : un enjeu de souveraineté et de légitimité
Le permis d’exploration « Boujdour Atlantique » se situe dans une zone revendiquée par le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, qui considère le Sahara occidental comme un territoire occupé. Le Maroc, qui contrôle près de 80 % de cette région, y promeut activement des projets économiques (phosphates, énergies renouvelables, tourisme) pour assoir sa souveraineté, reconnue par plusieurs pays, dont les États-Unis.
L’implication d’une société israélienne dans cette zone sensible ajoute une dimension symbolique. En associant NewMed Energy au projet, Rabat cherche à légitimer son contrôle sur le Sahara occidental en l’intégrant à des partenariats internationaux. Toute découverte de gaz renforcerait également son argumentaire sur les « retombées économiques pour les populations locales », un pilier de son plan d’autonomie pour la région.
Algérie : un adversaire régional sur le qui-vive
L’Algérie, principal soutien du Front Polisario et rivale historique du Maroc, voit d’un mauvais œil ce projet. Alger, qui a rompu ses relations diplomatiques avec Rabat en 2021, dénonce régulièrement « l’exploitation illégale des ressources » du Sahara occidental et pourrait utiliser ce dossier pour mobiliser la communauté internationale, notamment à l’ONU, où la question du Sahara reste en suspens depuis des décennies.
Par ailleurs, l’Algérie, exportatrice majeure de gaz vers l’Europe, perçoit le projet Boujdour comme une concurrence potentielle. Les tensions sont d’autant plus vives que l’Algérie a fermé en 2021 le gazoduc Maghreb-Europe (GME), qui transitait par le Maroc, privant Rabat de revenus gaziers. En développant ses propres ressources, le Maroc tente de réduire sa vulnérabilité face à cette décision algérienne.
Un équilibre délicat sur la scène internationale
Ce projet place aussi le Maroc dans une position délicate vis-à-vis de l’Union africaine (UA) et de l’Union européenne (UE). Si plusieurs pays africains soutiennent la position marocaine sur le Sahara, d’autres, comme l’Afrique du Sud, appuient le Polisario. L’UE, quant à elle, bien qu’intéressée par de nouvelles sources de gaz, doit composer avec le statut juridique du Sahara occidental : ses accords commerciaux avec le Maroc excluent explicitement ce territoire, suite à un arrêt de la Cour de justice européenne en 2016.
Conclusion : énergie et realpolitik
Le projet gazier de Boujdour Atlantique incarne la manière dont le Maroc utilise l’économie pour consolider ses positions politiques, tant sur le plan intérieur (légitimation de la souveraineté) qu’international (renforcement des alliances avec Israël et les États-Unis). Cependant, les risques de tensions avec l’Algérie et les sensibilités liées au conflit du Sahara occidental rappellent que les ressources énergétiques restent, dans cette région, un enjeu éminemment politique.
Dans ce jeu d’échecs nord-africain, chaque forage exploratoire pourrait creuser un peu plus les lignes de fracture, mais aussi ouvrir de nouvelles portes pour une coopération régionale… si les rivalités géopolitiques le permettent.