Les relations entre la France et l’Algérie restent marquées par une histoire complexe, mêlant colonisation, luttes pour l’indépendance et mémoires conflictuelles. En ce mois de mars 2025, un débat historique refait surface avec la sortie du dernier livre de l’historien controversé Bernard Lugan, Histoire des Algéries, des origines à nos jours. Celui-ci pose une question brûlante : l’Algérie est-elle une nation forgée par la France, ou possède-t-elle une identité propre, antérieure à 1830 ? À travers cet article, explorons les thèses de Lugan, leur réception, et leurs échos dans les relations franco-algériennes actuelles.
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Bernard Lugan et la thèse d’une Algérie « créée » par la France
Dans son ouvrage, Bernard Lugan défend une idée qui ne laisse personne indifférent : avant la conquête française de 1830, l’Algérie n’existait pas en tant qu’entité politique unifiée. Pour cet historien africaniste, la région était alors une mosaïque de territoires sous influence ottomane, sans cohérence nationale. C’est la France, en colonisant le territoire, qui aurait dessiné ses frontières modernes, intégrant des zones autrefois revendiquées par le Maroc, notamment dans le Sahara. Lugan soutient que cette « création » coloniale est à l’origine des fragilités identitaires et politiques de l’Algérie contemporaine.
Cette vision, bien que documentée, est explosive. Elle rejette toute profondeur historique à l’Algérie précoloniale, réduisant son passé à une simple dépendance ottomane. Selon Lugan, la France n’a pas seulement « fondé » l’Algérie : elle lui a aussi transmis un héritage d’infrastructures et de développement, souvent passé sous silence dans le discours officiel algérien. Ce narratif séduit certains nostalgiques de l’époque coloniale, mais il est perçu comme une provocation en Algérie, où beaucoup y voient une tentative de délégitimer une identité nationale chèrement acquise.
Une histoire contestée : l’Algérie avant 1830
Que disent les faits face à cette thèse ? Avant 1830, l’Algérie était effectivement une régence ottomane, gouvernée depuis Alger par un dey. Mais limiter son histoire à cela serait réducteur. Dès l’Antiquité, la région a abrité les royaumes numides, berbères, avec des figures comme Massinissa ou Jugurtha. Plus tard, sous les dynasties zirides ou hammadides, des entités politiques locales ont prospéré, témoignant d’une continuité culturelle et territoriale. Si ces royaumes n’avaient pas les contours exacts de l’Algérie moderne, ils formaient un socle identitaire que les historiens algériens mettent en avant pour contrer les arguments de Lugan.
L’idée d’un découpage colonial n’est pas fausse : la France a redessiné le Maghreb, parfois au détriment du Maroc. Mais Lugan omet une nuance essentielle : les nations modernes naissent souvent de processus historiques complexes, et non d’une essence immuable. Affirmer que l’Algérie « n’existait pas » avant 1830 revient à nier la capacité des peuples à façonner leur destin au fil du temps – une critique que les nationalistes algériens opposent fermement à cette vision.
Les archives de Macron : un geste diplomatique lourd de sens
Un événement récent vient enrichir ce débat : la restitution par Emmanuel Macron d’un million et demi de documents au Maroc, des archives datant du protectorat français (1912-1956). Salué comme un pas vers la réconciliation avec Rabat, ce geste a suscité des interrogations à Alger. Ces documents contiennent en effet des informations sur des territoires aujourd’hui algériens, mais revendiqués par le Maroc avant la colonisation. Certains y voient un écho implicite aux thèses de Lugan, suggérant que les frontières algériennes sont un héritage artificiel du colonialisme français.
L’intention de Macron était sans doute plus pragmatique : renforcer les liens avec le Maroc tout en répondant aux appels à une décolonisation des mémoires. Mais dans un contexte de rivalité entre l’Algérie et le Maroc, notamment sur la question du Sahara occidental, cette restitution a ravivé des tensions historiques, alimentant les débats sur l’héritage colonial.
Une crise aux échos contemporains
Ce différend dépasse largement le cadre académique. Il s’inscrit dans une crise plus vaste entre la France et l’Algérie, marquée par des désaccords sur la mémoire coloniale, les réparations ou les relations diplomatiques. Les thèses de Lugan, influentes dans certains cercles, restent marginales face à un consensus historique plus nuancé. Quant aux archives restituées, elles pourraient ouvrir la voie à un dialogue si elles étaient partagées avec l’Algérie – une perspective encore incertaine en ce printemps 2025.