Ces dernières semaines, l’escalade diplomatique entre l’Algérie et le Mali a franchi un nouveau seuil. L’incident du drone abattu fin mars 2025 par l’armée algérienne, près de Tinzawaten, à la frontière entre les deux pays, a servi de détonateur à une série de décisions drastiques : rappel d’ambassadeurs, fermeture mutuelle de l’espace aérien, suspension de toute coopération. Dans ce climat tendu, Alger désigne un acteur extérieur comme partie prenante indirecte de la dégradation de ses relations avec Bamako : le Maroc.
Une accusation de stratégie d’enracinement marocain dans le Sahel
Selon Alger, Rabat mènerait une politique d’influence active au Mali, dans une logique de repositionnement stratégique en Afrique de l’Ouest. Les autorités algériennes pointent notamment l’intensification des échanges diplomatiques entre Rabat et Bamako, mais aussi la signature d’accords de coopération dans des domaines sensibles tels que la sécurité, les infrastructures ou encore les télécommunications.
Alger accuse le Maroc de vouloir entraîner le Mali dans sa propre sphère diplomatique, au détriment d’un équilibre régional historiquement bâti autour de la coopération algéro-malienne. Cette lecture repose sur une série de signaux perçus comme préoccupants : accueil chaleureux de responsables maliens à Rabat, discours de convergence sur certains dossiers africains, et surtout, selon Alger, un soutien marocain aux choix géopolitiques récents du Mali, y compris la remise en cause de certaines médiations africaines pilotées depuis Alger.
Le gazoduc algéro-nigérian sous pression : des inquiétudes croissantes à Alger
Dans cette dynamique régionale de plus en plus tendue, un autre dossier majeur cristallise les préoccupations d’Alger : le projet de gazoduc transsaharien (TSGP), censé relier l’Algérie au Nigeria via le Niger. Bien que ce projet stratégique ait récemment connu un regain d’intérêt avec la signature de nouveaux accords techniques entre les trois pays, l’Algérie redoute désormais que le rapprochement entre le Mali et le Niger, sous l’influence croissante de Rabat, ne vienne compromettre sa réalisation.
À Alger, certains cercles diplomatiques craignent que le Mali, désormais perçu comme aligné sur la diplomatie marocaine, n’encourage ses partenaires de transition – notamment le Niger – à reconsidérer leur engagement dans ce projet énergétique structurant. Cette possible bascule serait d’autant plus préoccupante qu’elle renforcerait l’attractivité du projet concurrent soutenu par le Maroc, qui prévoit un tracé atlantique via plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, au détriment du corridor saharien traditionnel. Pour l’Algérie, il ne s’agit plus seulement de concurrence économique, mais d’un affrontement stratégique indirect qui pourrait redéfinir durablement les flux d’influence et d’énergie dans la région.
Une guerre froide maghrébine exportée ?
Les observateurs évoquent désormais une sorte de « guerre froide » maghrébine exportée au cœur du Sahel. Si le Maroc, de son côté, ne revendique aucune hostilité envers l’Algérie, et insiste sur sa volonté de partenariat avec les pays africains, la coïncidence entre la dégradation des liens entre Alger et Bamako, et le resserrement des liens entre Rabat et Bamako (et désormais Niamey), alimente le soupçon. Pour Alger, il ne s’agit pas de simples convergences opportunes, mais d’un plan de repositionnement stratégique visant à l’écarter du jeu régional.
Cette interrogation renvoie à un enjeu plus vaste : celui de la capacité des États sahéliens à rester maîtres de leurs choix géopolitiques dans un environnement de plus en plus polarisé. Alors que l’instabilité sécuritaire fragilise les États, l’influence croissante d’acteurs extérieurs – qu’ils soient africains, russes, turcs ou européens – impose de nouveaux arbitrages, souvent dictés par des rapports de force qui échappent aux dynamiques strictement nationales.
Conclusion
Face à ces tensions croissantes, l’Union africaine et la CEDEAO doivent jouer un rôle central pour éviter la fragmentation stratégique du Sahel. La rivalité entre Alger et Rabat, bien qu’historiquement enracinée, ne peut continuer à s’étendre au détriment de la stabilité régionale. Les pays du Sahel, pris entre plusieurs axes d’influence, ont besoin de médiations neutres et de mécanismes africains de résolution des différends, afin d’éviter que cette rivalité ne compromette leur souveraineté et leurs perspectives de développement.