INTRODUCTION
La visite surprise du ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, à Madrid, en plein Jeudi Saint, a suscité de vives spéculations. Selon des sources relayées par le journal La Razón, cette rencontre non annoncée pourrait avoir porté sur une hypothèse hautement stratégique : une intervention militaire marocaine dans la zone tampon du Sahara occidental, ces territoires que le Front Polisario appelle les « territoires libérés ».
Si cette hypothèse venait à se concrétiser, elle marquerait un tournant majeur dans un conflit figé depuis plus de trois décennies. Cette analyse propose une lecture critique mais centrée sur la perspective stratégique du Maroc, en tenant compte du contexte militaire, diplomatique, sécuritaire et régional. Nous explorons ici les motivations potentielles d’une telle offensive, les précédents militaires, la doctrine de sécurité marocaine, les réactions possibles de l’Algérie, et les conséquences pour les équilibres régionaux.
Table of Contents
1. La zone tampon : une anomalie stratégique pour le Maroc
La zone tampon du Sahara occidental est une bande désertique à l’est du mur de défense construit par le Maroc dans les années 1980, sous l’égide de l’ONU. Selon les accords du cessez-le-feu de 1991, cette zone devait rester démilitarisée et servir de sas entre les forces marocaines et celles du Front Polisario. Toutefois, depuis la reprise des hostilités en novembre 2020, cette délimitation est devenue obsolète pour Rabat.
Aux yeux du Maroc, cette zone représente aujourd’hui une faille dans sa souveraineté effective, une anomalie tactique dans un espace qu’il considère comme partie intégrante de son territoire national. Rabat estime que la présence du Polisario, même symbolique, dans cette bande désertique constitue une menace potentielle pour la stabilité du sud du pays et pour les infrastructures clés comme les routes commerciales vers la Mauritanie.
2. Le précédent de Guerguerat (2020) : le modèle d’une intervention maîtrisée
L’intervention militaire marocaine dans la localité de Guerguerat en novembre 2020 a posé les bases d’un nouveau modèle d’action : rapide, ciblée, sans affrontement direct mais accompagnée d’une forte symbolique politique. Cette opération, menée pour rouvrir un axe routier bloqué par des militants pro-Polisario, a été saluée au Maroc comme un succès diplomatique et militaire. Elle n’a pas déclenché de sanctions, ni de condamnation claire de la part de la communauté internationale, mais a plutôt isolé davantage le Polisario sur la scène régionale.
Guerguerat sert ainsi de référence stratégique. Elle prouve à Rabat qu’une intervention mesurée, présentée comme une opération de sécurisation, peut être acceptée dans le jeu diplomatique international, tant que la rhétorique utilisée reste pacifique et que les actions ne dépassent pas un certain seuil de violence.
3. Pourquoi agir maintenant ? Un contexte diplomatique favorable
L’année 2025 offre au Maroc une fenêtre d’opportunité stratégique. Plusieurs éléments convergent :
- Le soutien réitéré des États-Unis à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, confirmé sous plusieurs administrations.
- L’alignement de l’Espagne, depuis 2022, sur le plan d’autonomie marocain.
- Le silence relatif des puissances européennes sur la légitimité du Front Polisario.
- La perte de vitesse médiatique du camp sahraoui sur la scène internationale.
Rabat pourrait considérer que le momentum est idéal : une action bien calibrée permettrait de modifier les équilibres territoriaux, tout en capitalisant sur la passivité de l’ONU, les divisions en Algérie, et l’usure des réseaux de soutien sahraouis.
4. Doctrine marocaine : de la retenue diplomatique à la dissuasion active
Depuis 2020, le Maroc a fait évoluer sa doctrine militaire au Sahara occidental. D’une logique de défense passive, le Royaume est passé à une doctrine de dissuasion active, reposant sur quatre piliers :
- Supériorité technologique : drones armés turcs Bayraktar, radars de surveillance israéliens, unités d’intervention mobiles.
- Occupation du terrain : renforcement du mur de défense, postes avancés, surveillance constante.
- Communication stratégique : cadrage des interventions comme des “opérations de stabilisation”.
- Maîtrise de l’espace diplomatique : appui de ses partenaires européens et africains.
Dans cette perspective, la reconquête de la zone tampon serait moins une déclaration de guerre qu’un geste de souveraineté proactive, visant à clôturer le dossier militairement, avant de le consolider diplomatiquement.
5. Les risques calculés : une confrontation avec l’Algérie ?
Toute opération dans la zone tampon comporterait un risque géopolitique majeur : la réaction de l’Algérie. En tant que soutien indéfectible du Polisario, Alger pourrait considérer cette opération comme une atteinte à son influence régionale.
Cependant, plusieurs éléments jouent en faveur du Maroc :
- L’Algérie traverse une phase de turbulence interne (instabilité politique, tensions sociales, dépendance aux hydrocarbures).
- L’état-major algérien pourrait hésiter à entrer dans une logique de confrontation ouverte, qui entraînerait des conséquences économiques et régionales lourdes.
- Le soutien international à une escalade de l’Algérie serait quasi nul dans le contexte actuel.
Ainsi, Rabat pourrait estimer que le rapport de force est temporairement favorable, et que l’Algérie ne répondra pas militairement, se contentant d’une condamnation symbolique ou d’un soutien accru au Polisario sans franchissement du seuil de la guerre directe.
6. Le jeu des perceptions : guerre de communication et bataille diplomatique
Le succès d’une telle opération ne se mesurerait pas uniquement sur le terrain militaire, mais dans l’arène médiatique et diplomatique. Le Maroc s’attacherait à présenter l’intervention comme :
- Une action défensive, pour répondre à des “provocations” du Polisario.
- Une action légitime, fondée sur la souveraineté nationale et la lutte contre l’instabilité.
- Une action utile, visant à protéger les intérêts régionaux communs, notamment commerciaux.
Par ailleurs, la diplomatie marocaine est aujourd’hui l’une des plus actives du continent africain. Grâce à une stratégie multicanal (coopération sud-sud, accord trilatéral avec Israël et les États-Unis, présence au sein de l’Union africaine), Rabat est en mesure de construire un récit favorable autour de toute action entreprise.
7. Conséquences possibles : nouveau statut quo ou escalade ?
Deux scénarios se dessinent :
- Scénario 1 : le fait accompli
Le Maroc prend le contrôle d’une partie de la zone tampon, installe des points militaires, et le monde, après quelques protestations formelles, entérine la situation. Ce serait un nouveau Guerguerat, mais à plus grande échelle. - Scénario 2 : l’escalade contrôlée
Le Polisario, avec le soutien indirect de l’Algérie, relance une série d’attaques asymétriques, sans parvenir à reprendre le terrain. L’ONU tente alors une médiation, mais sans remettre en cause la présence marocaine.
Dans les deux cas, le Maroc sortirait renforcé militairement et politiquement, en fixant de nouvelles réalités territoriales que le droit international, trop lent et divisé, ne parviendrait pas à inverser.
CONCLUSION
L’hypothèse d’une offensive marocaine dans la zone tampon n’est pas une fantaisie diplomatique. Elle s’inscrit dans une stratégie cohérente, maîtrisée et progressive, où chaque action militaire est pensée comme un prolongement de la diplomatie.
Le Sahara occidental, longtemps figé dans une illusion de statu quo, pourrait ainsi devenir le théâtre d’une normalisation par la force, où le Maroc imposerait, unilatéralement mais efficacement, sa vision d’un territoire pacifié, intégré et sécurisé.