Le 8 mai 2025, Israël a officiellement approuvé un accord maritime stratégique signé avec le Maroc en 2023. Ce partenariat, conclu entre le ministre marocain des Transports, Mohamed Abdeljalil, et la ministre israélienne des Transports, Miri Regev, s’apprête à entrer en vigueur dans les 30 jours. Présenté comme un levier économique, l’accord ouvre également la voie à des transferts humanitaires vers Gaza. Mais derrière l’annonce, c’est un véritable jeu d’échecs géopolitique qui se dessine, aux répercussions multiples pour le Maghreb, le Moyen-Orient… et bien au-delà.
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Des cargos et des symboles
L’accord prévoit de renforcer la coopération maritime entre les deux États : libre navigation, concurrence équitable, et facilitation du transport de marchandises. Concrètement, des cargos pourraient bientôt relier Tanger Med – l’un des plus grands ports d’Afrique – aux ports israéliens de Haïfa ou Ashdod. Cette infrastructure devient alors un point d’ancrage pour les ambitions commerciales des deux pays.
Mais au-delà du commerce, le texte laisse entrevoir une dimension humanitaire. L’objectif affiché : permettre au Maroc d’acheminer de l’aide vers Gaza, territoire palestinien ravagé par une crise humanitaire dramatique, accentuée depuis les affrontements de 2023-2024 et le renforcement du blocus israélien. Une promesse symbolique, mais encore loin d’être concrétisée.
Normalisation, diplomatie et calculs stratégiques
Pour bien saisir les implications de cet accord, il faut revenir aux Accords d’Abraham de 2020. Orchestrés par les États-Unis sous l’administration Trump, ces accords ont permis à plusieurs pays arabes – dont le Maroc – de normaliser leurs relations avec Israël. En contrepartie, Rabat a obtenu une reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara occidental, une revendication clé du royaume.
Depuis, les relations bilatérales se sont intensifiées : drones, cybersécurité, tourisme, agriculture… et désormais, transport maritime. Pourtant, cette dynamique diplomatique divise. Au Maroc, la cause palestinienne reste profondément ancrée dans l’opinion publique. De nombreuses manifestations ont dénoncé ce rapprochement, perçu par certains comme une trahison. Alors pourquoi Rabat persiste-t-il ?
La réponse tient à une stratégie régionale assumée : s’imposer comme puissance intermédiaire entre Afrique, Europe et Moyen-Orient. Le Maroc cherche à se distinguer de son rival algérien et à s’appuyer sur des alliances technologiques et militaires nouvelles, notamment avec Israël et les États-Unis. Le port de Tanger Med, devenu plateforme stratégique, symbolise cette ambition.
Gaza : l’angle humanitaire entre espoir et scepticisme
Officiellement, l’un des objectifs majeurs de l’accord est de faciliter l’acheminement d’aides vers Gaza. Selon l’UNICEF, plus de deux millions de personnes y vivent dans une situation critique. L’accord pourrait permettre au Maroc d’expédier des cargaisons humanitaires via des ports israéliens ou égyptiens. Une telle initiative s’inscrirait dans la continuité des aides médicales déjà autorisées en 2023.
Mais plusieurs obstacles demeurent : Israël continue d’imposer un strict contrôle sur tout ce qui entre à Gaza, invoquant des raisons de sécurité. Le risque est grand que l’accord ne soit perçu comme une simple manœuvre de façade. Par ailleurs, les pressions internes au Maroc, notamment de la part des mouvements pro-palestiniens comme BDS, pourraient rapidement s’amplifier si aucune avancée concrète n’est constatée sur le terrain.
Une manœuvre géopolitique aux effets multiples
À l’échelle régionale et internationale, cet accord modifie subtilement les équilibres. Pour le Maroc, il s’agit d’un acte de souveraineté et d’indépendance stratégique : en diversifiant ses alliances au-delà de l’axe franco-européen traditionnel, Rabat s’affirme comme acteur global. Mais ce pari est risqué. Le roi Mohammed VI joue sa crédibilité sur sa capacité à concilier soutien à la cause palestinienne et réalpolitik.
Pour Israël, c’est une nouvelle victoire dans sa campagne de normalisation avec les pays arabes. En renforçant ses liens avec un partenaire aussi stable qu’influent en Afrique, l’État hébreu gagne une passerelle vers un continent stratégique, où la Chine et la Russie progressent rapidement.
La Palestine, elle, reste largement exclue de ces négociations. Si l’aide promise arrive réellement à Gaza, cela constituera une avancée tangible. Mais en l’absence de garanties claires, ce partenariat pourrait être perçu comme un marché diplomatique indifférent aux souffrances palestiniennes.
Enfin, l’Algérie se retrouve de plus en plus marginalisée dans cette nouvelle configuration régionale. Opposée à toute normalisation avec Israël, et soutien affirmé du Front Polisario, elle voit son rival marocain renforcer son positionnement sur la scène internationale. Quant aux États-Unis, ils confortent leur influence stratégique en soutenant ce rapprochement. L’Iran, lui, voit un front régional se consolider contre ses intérêts.
Une paix logistique ou une diplomatie à risque ?
Cet accord maritime entre le Maroc et Israël, s’il se concrétise dans toutes ses dimensions, pourrait redéfinir la place du Maghreb dans les grandes routes commerciales et diplomatiques de demain. Mais tout dépendra de la volonté politique des parties, de la transparence des livraisons humanitaires et de la capacité des États à dépasser les symboles pour produire des effets concrets.
La question reste posée : sommes-nous face à une avancée historique ou à une opération de normalisation habilement habillée ? Le temps, et les cargos, en diront plus.