L’Algérie, acteur clé de la stabilité en Afrique du Nord, traverse une période de turbulences. Les tensions avec ses voisins du Sahel – Mali, Niger, Burkina Faso – et l’intervention croissante de la Russie dans la région ont transformé une crise locale en un enjeu géopolitique majeur. Historiquement alliés, l’Algérie et la Russie partagent une coopération militaire et économique solide, illustrée par la fourniture d’armes avancées comme le Sukhoi 35. Pourtant, les ambitions russes dans le Sahel, notamment via la présence des forces Wagner, sont perçues par Alger comme une menace à sa sécurité nationale. Pourquoi Moscou s’implique-t-elle dans cette crise malgré le refus algérien ? Et comment concilier les intérêts des deux nations ? Cet article explore les dynamiques complexes de cette relation à travers les perspectives d’experts et les réalités régionales.
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1. La crise algérienne et les tensions avec le Sahel
L’Algérie a toujours considéré le Sahel comme une extension de son espace géographique, culturel et ethnique. « Le Sahel n’est pas un espace étranger pour l’Algérie ; c’est une extension de notre identité et de nos intérêts », souligne le Dr Houssam Hamza, professeur de sciences politiques à l’Université nationale des sciences politiques d’Alger. Cette vision explique le rejet catégorique par l’Algérie de toute présence militaire étrangère dans la région, perçue comme une atteinte à sa souveraineté et à la stabilité régionale.
La situation s’est aggravée avec les coups d’État successifs au Mali, au Niger et au Burkina Faso, qui ont fragilisé les relations avec Alger. L’Accord d’Alger de 2015, un effort algérien pour promouvoir la paix et la coopération économique dans le Sahel, est aujourd’hui menacé. L’instabilité croissante, alimentée par des groupes armés et des interventions extérieures, a exacerbé les préoccupations algériennes, notamment face à la montée des activités terroristes dans les zones frontalières.
2. Les ambitions russes en Afrique de l’Ouest
La Russie, sous la direction de Vladimir Poutine, cherche à établir un point d’ancrage stratégique dans le Sahel pour des gains à la fois militaires et économiques. Selon des analystes, Moscou vise à exploiter les ressources naturelles – comme l’uranium au Niger – et à sécuriser des corridors de transport pour renforcer son influence en Afrique de l’Ouest. La présence des forces Wagner au Mali, officiellement pour lutter contre le terrorisme, incarne cette stratégie. Cependant, ces actions ont aggravé les tensions, notamment avec l’Algérie, qui y voit une menace directe à sa sécurité.
Sergueï Lavrov, ancien ministre russe des Affaires étrangères, a déclaré que Moscou était prête à soutenir la sécurité des pays du Sahel en renforçant leurs capacités militaires. Cette approche, axée sur la militarisation, entre en contradiction avec la vision algérienne, qui privilégie des solutions diplomatiques et économiques. Parallèlement, la Russie cherche à faire de l’Algérie un hub logistique pour ses intérêts régionaux, une proposition séduisante mais problématique. La Chambre de Commerce et d’Industrie russe a ainsi affirmé que l’Algérie pourrait devenir un centre clé pour les investissements russes en Afrique. Mais cette ambition soulève une question : comment concilier ces objectifs avec les priorités algériennes ?
3. Les divergences algéro-russes : une question de vision
Malgré des relations historiques marquées par une « grande confiance », selon le Dr Nizar Bouch, professeur de sciences politiques à l’Université de Moscou, des malentendus profonds séparent Alger et Moscou. L’Algérie rejette toute militarisation étrangère dans le Sahel, une position ancrée dans son principe de non-ingérence. En revanche, la Russie justifie ses interventions par des invitations des gouvernements locaux, comparant parfois sa stratégie à celle adoptée en Ukraine pour protéger ses intérêts géopolitiques.
« Il n’y a pas de conflit ouvert, mais une divergence profonde dans la manière de concevoir la sécurité régionale », explique le Dr Houssam Hamza. La présence de Wagner au Mali, accusée d’aggraver les conflits sous couvert de lutte antiterroriste, cristallise ces tensions. Les opérations menées en coopération avec l’armée malienne ont conduit à des violences contre les populations locales, alimentant l’instabilité dans les zones frontalières de l’Algérie. Cette situation met à l’épreuve la capacité des deux pays à maintenir leur partenariat stratégique.
4. Vers une résolution diplomatique ?
Malgré ces divergences, l’Algérie et la Russie ont intérêt à préserver leurs relations. Des commissions bilatérales et des dialogues réguliers, impliquant des figures comme le président russe et le ministre algérien des Affaires étrangères, témoignent d’une volonté de résoudre les différends. « La Russie peut jouer un rôle positif en soutenant les efforts de l’Algérie pour stabiliser le Sahel, à condition de respecter ses priorités », suggère le Dr Nizar Bouch.
Une solution pourrait passer par une coopération trilatérale impliquant l’Algérie, la Russie et les pays du Sahel. Par exemple, des projets économiques conjoints, comme le développement de corridors de transport reliant le Niger à l’Algérie, pourraient répondre aux ambitions russes tout en respectant la vision algérienne de la stabilité. De plus, la Russie pourrait appuyer les initiatives algériennes, comme l’Accord d’Alger, pour renforcer la paix régionale. Une diplomatie plus transparente et une meilleure coordination sont essentielles pour surmonter les malentendus actuels.
5. Conclusion : Un équilibre délicat à trouver
La crise algérienne et les tensions régionales révèlent les défis d’un partenariat algéro-russe confronté aux ambitions géopolitiques de Moscou. Alors que l’Algérie défend une vision de la sécurité basée sur la diplomatie et la coopération économique, la Russie privilégie une approche militaire qui risque d’aggraver l’instabilité dans le Sahel. Pourtant, les relations historiques entre les deux pays offrent une base solide pour surmonter ces défis.
Pour avancer, Alger et Moscou doivent privilégier un dialogue pragmatique, respectueux des priorités de chacun. L’Algérie, en tant que puissance régionale, peut jouer un rôle de médiateur entre la Russie et les pays du Sahel, tout en consolidant son statut de hub économique. La Russie, de son côté, doit éviter d’alimenter les tensions pour préserver son partenariat avec l’Algérie. Dans un contexte géopolitique volatile, cet équilibre délicat sera déterminant pour la stabilité de l’Afrique de l’Ouest.