Dans un geste inédit aux fortes résonances diplomatiques, le Sénat français a accueilli une délégation du Gouvernement provisoire kabyle en exil, conduite par son président Ferhat Mehenni. Cette rencontre s’est tenue dans un climat de tension politique en Algérie, notamment en Kabylie, où les arrestations de militants autonomistes se sont multipliées ces derniers mois. Une situation que la délégation qualifie de « répression systématique contre une expression démocratique pacifique ».
Un contexte alarmant
Depuis plusieurs années, les autorités algériennes accusent le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) de visées séparatistes hostiles à l’intégrité nationale. En 2021, le MAK a été inscrit sur la liste des organisations terroristes par le gouvernement algérien. Une décision vivement contestée par ses membres, qui dénoncent une criminalisation de leur action politique non violente. Plusieurs figures de la mouvance kabyle ont été arrêtées, condamnées ou contraintes à l’exil, dont Ferhat Mehenni lui-même, aujourd’hui basé en France.
Dans ce contexte, la rencontre avec les sénateurs français constitue un jalon important pour faire entendre la voix kabyle sur la scène internationale.
Plaidoyer pour une voie pacifique
Devant ses interlocuteurs, Ferhat Mehenni a défendu la voie d’un référendum démocratique d’autodétermination comme seule issue viable et pacifique au conflit entre la Kabylie et le pouvoir central algérien. Il a rappelé que le peuple kabyle aspirait à choisir librement son destin, dans le respect des principes du droit international.
« Nous ne demandons ni la violence ni la division, mais un processus transparent et encadré permettant aux Kabyles de se prononcer. C’est un cri de détresse que nous lançons à la communauté internationale », a-t-il déclaré, insistant sur l’urgence de protéger les droits humains dans la région.
Revendications fondamentales
Au-delà de l’autodétermination, les membres de la délégation ont mis en avant plusieurs revendications liées aux libertés fondamentales : la liberté de conscience, notamment religieuse – pointant les restrictions que subissent certains chrétiens kabyles –, la justice sociale, l’égalité des chances économiques, et surtout la préservation de l’identité kabyle.
La question linguistique a également été évoquée, les militants déplorant le manque de reconnaissance effective de la langue kabyle dans les institutions algériennes malgré son statut officiel inscrit dans la Constitution. Le drapeau kabyle, exposé lors de l’audience, a illustré cette volonté de visibilité et de reconnaissance symbolique.
Une portée diplomatique assumée
Bien que cette rencontre ne constitue pas une reconnaissance officielle, elle revêt une forte portée symbolique et diplomatique. Le fait que le Sénat – l’une des institutions républicaines les plus stables de France – ait reçu la délégation constitue un signal de respect, d’écoute et de considération envers une cause souvent marginalisée.
Certains sénateurs présents, notamment Valérie Boyer, ont exprimé leur solidarité avec les aspirations du peuple kabyle et leur préoccupation face à la répression en Algérie. Ils ont également évoqué la possibilité de porter ces problématiques dans l’hémicycle et auprès d’organismes européens compétents.
Une stratégie d’internationalisation
La délégation kabyle a souligné que cette rencontre s’inscrivait dans une stratégie plus large d’internationalisation du dossier kabyle. Après des démarches au Canada, aux États-Unis et dans certaines instances européennes, les représentants de l’ANAVAD entendent soumettre un dossier à l’ONU et renforcer leurs contacts avec la société civile et les parlementaires de plusieurs pays.
Ils ont par ailleurs plaidé pour la libération des prisonniers politiques kabyles, évoquant de nombreux cas de détention prolongée sans procès équitable. La mobilisation de la communauté internationale est, selon eux, essentielle pour garantir le respect des droits humains en Algérie et ouvrir la voie à une médiation possible.
Une étape dans un long chemin
Pour le Gouvernement provisoire kabyle en exil, cette audience au Sénat français constitue un moment fort, porteur d’espoir et de visibilité. Mais la route vers une reconnaissance formelle de leur droit à l’autodétermination reste semée d’embûches diplomatiques et politiques.
Le régime algérien, de son côté, voit d’un très mauvais œil toute initiative susceptible d’être interprétée comme une ingérence étrangère ou une remise en cause de l’unité nationale. Il a réagi par la voie de son ministère des Affaires étrangères en appelant à la « neutralité » des partenaires internationaux.
Entre prudence diplomatique et engagement en faveur des libertés, la position de la France reste délicate. Mais cette rencontre pourrait bien marquer une inflexion, signalant une prise de conscience européenne face à la complexité de la question kabyle, dans une région du monde où les équilibres sont toujours fragiles.