La récente expulsion de quinze diplomates algériens par Paris, en réplique à des mesures symétriques d’Alger, traduit bien plus qu’une simple querelle bilatérale : elle révèle l’émergence d’une stratégie géopolitique profondément renouvelée en Algérie. Longtemps écartelée entre son héritage colonial français et son partenariat énergétique avec la Russie, l’Algérie a progressivement diversifié ses alliances ; et, depuis la rencontre historique entre le président Abdelmadjid Tebboune et le secrétaire d’État américain Antony Blinken en octobre 2022, les signaux d’un recentrage vers Washington se sont multipliés.
Dès leur premier entretien, dont certains extraits furent rendus publics, Tebboune et Blinken ont affiché une volonté mutuelle d’intensifier la coopération politique et sécuritaire. Cette dynamique a trouvé un écho rapide sur le plan économique : Alger a conclu des accords avec les mastodontes américains Chevron et Occidental Petroleum pour développer ses gisements d’hydrocarbures. Parallèlement, l’Algérie a invité des investisseurs américains à participer à ses grands projets d’infrastructure énergétique, manifestant ainsi sa détermination à réduire sa dépendance aux marchés traditionnellement dominés par Paris et Moscou.
Sur le plan militaire, la coopération avec Berlin et Washington s’est renforcée : en janvier 2025, Alger et Washington ont signé un protocole élargi couvrant la fourniture d’armements, la formation de cadres et le partage de renseignements. Cette entente s’inscrit dans un cadre plus large de « partenariats stratégiques » que cherchent à bâtir les élites militaires algériennes, souvent qualifiées de « groupe des équilibres », soucieuses de protéger la souveraineté nationale dans un environnement régional instable.
Parallèlement à ces développements concrets, l’activité de lobbying menée à Washington par des représentants algériens s’est intensifiée. Objectif : améliorer l’image d’un pays encore marqué par les soubresauts politiques de l’ère Bouteflika et promouvoir ses intérêts auprès du Congrès et de l’administration américaine. Cette offensive diplomatique est symptomatique d’un choix de diversification assumé : Alger ne souhaite plus être le simple prolongement des politiques franco-russes en Méditerranée, mais aspira à être un acteur multivectoriel capable de tirer parti des rivalités entre grandes puissances pour renforcer son autonomie stratégique.
Les répercussions de cette inflexion ne se sont pas fait attendre à Paris : la France, qui considère toujours l’Algérie comme une zone d’influence naturelle, a réagi avec véhémence à ces rapprochements. Outre l’expulsion de diplomates, Paris a multiplié les critiques publiques, notamment après les déclarations jugées offensantes du président Macron sur l’identité algérienne. De son côté, Moscou, dont l’influence se manifeste notamment par le maintien d’une base de coopération militaire et l’exportation de systèmes de défense, observe avec méfiance ce glissement vers l’orbite américaine, perçu comme une dilution de ses intérêts énergétiques et géopolitiques.
En définitive, la question n’est pas tant de savoir si l’Algérie se tourne de Paris et Moscou vers Washington, mais plutôt de constater qu’elle construit une diplomatie plurielle, fondée sur la diversification des partenariats. Cette approche, fruit d’une réflexion interne profonde – notamment au sein du « groupe des équilibres » –, vise à garantir la sécurité énergétique, la modernisation militaire et la stabilité politique du pays. Dans un monde où les lignes géocientifiques se redessinent à grande vitesse, l’Algérie entend désormais tracer sa propre trajectoire, en jouant habilement des rivalités des grandes puissances au service de ses intérêts nationaux.