Introduction
Le 9e congrès national du Parti de la Justice et du Développement (PJD), tenu les 26 et 27 avril 2025 à Bouznika, au Maroc, a suscité une vague de controverses. Sous la direction d’Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement, le parti islamiste a tenté de réaffirmer son engagement pour la cause palestinienne tout en lançant un appel à l’unité avec l’Algérie. Cependant, l’événement a été marqué par la présence de figures controversées, notamment un religieux mauritanien et un député turc, ainsi que par le refus des autorités marocaines d’accorder un visa à Fawzi Barhoum, un représentant du Hamas. Ces incidents ont ravivé les tensions entre le PJD et l’État marocain, tout en alimentant les critiques en Algérie et sur les réseaux sociaux. Pourquoi ce congrès a-t-il suscité autant de remous ? Cet article explore les protagonistes, les enjeux et les répercussions de cet événement.
1. Un congrès sous haute tension
Le PJD, affaibli depuis sa déroute électorale de 2021, a organisé son 9e congrès dans un contexte politique délicat. Alors que le Maroc maintient des relations normalisées avec Israël depuis les Accords d’Abraham de 2020, une partie de l’opinion publique reste attachée à la cause palestinienne, un thème que le PJD exploite pour mobiliser sa base. Abdelilah Benkirane, reconduit comme secrétaire général, a multiplié les prises de position audacieuses, notamment un appel à l’unité économique et politique avec l’Algérie, qui a été largement moqué en raison des tensions bilatérales. Mais c’est surtout la liste des invités du congrès qui a attiré l’attention, mêlant des figures controversées et des décisions diplomatiques explosives.
2. Les figures controversées : un Mauritanien et un Turc au cœur de la polémique
Le congrès a accueilli deux personnalités dont les interventions ont suscité des critiques au Maroc et au-delà :
- Mohamed El Hassan Ould Deddou, le religieux mauritanien
Membre de l’Union internationale des oulémas musulmans, basée au Qatar, Ould Deddou a prononcé un discours lors de la séance inaugurale, saluant « le peuple marocain pour son soutien à Al-Qods et à la résistance palestinienne ». Cependant, sa présence a choqué en raison de ses positions passées contre la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. En 2020, il s’était opposé à la décision de l’administration Trump de reconnaître la « marocanité » du Sahara, un sujet ultrasensible au Maroc. Inviter une telle figure, dans un pays où la question du Sahara est une cause nationale, a été perçu comme une maladresse du PJD, voire une provocation. Des médias marocains, comme Yabiladi, ont dénoncé ce choix, soulignant qu’il heurtait le consensus national. - Doughan Bikin, le député turc du parti Rafah
Vice-président du parti islamiste turc Rafah, proche du président Recep Tayyip Erdogan, Doughan Bikin a tenu des propos incendiaires lors du congrès. Il a appelé « les peuples à renverser les régimes ayant normalisé leurs relations avec Israël », une critique à peine voilée du Maroc, qui maintient des liens diplomatiques avec Tel-Aviv. Ces déclarations ont suscité l’embarras, d’autant que la Turquie, elle-même, n’a pas rompu ses relations avec Israël malgré ses critiques de la politique israélienne à Gaza. L’ironie de la situation a été relevée sur X, où des internautes ont accusé Bikin d’hypocrisie. L’invitation de cette figure reflète la volonté du PJD de s’aligner avec des mouvements islamistes régionaux, mais elle a accentué les tensions avec les autorités marocaines, qui défendent la normalisation comme un choix stratégique.
3. Le refus du visa à Fawzi Barhoum : une décision révélatrice
Un autre point de friction a été le refus des autorités marocaines d’accorder un visa à Fawzi Barhoum, un haut responsable du Hamas, invité par le PJD pour participer au congrès. Ce refus, confirmé par Driss El Azami El Idrissi, président du comité préparatoire, a mis en lumière les divergences entre le PJD et l’État marocain.
- Contexte du refus :
Le Hamas, considéré comme une organisation terroriste par plusieurs pays occidentaux, est une entité sensible dans le contexte de la diplomatie marocaine. Bien que le Maroc soutienne officiellement la cause palestinienne, il cherche à maintenir un équilibre avec ses relations avec Israël et ses alliés, notamment les États-Unis. Autoriser l’entrée de Barhoum aurait pu être interprété comme un signal hostile à ces partenaires, surtout dans un contexte de tensions régionales liées à la guerre à Gaza. - La défense de Benkirane :
Abdelilah Benkirane a vigoureusement défendu l’invitation de Barhoum, la qualifiant d’« honneur » et dénonçant ceux qui s’y opposaient comme manquant de « pudeur ». Il a même suggéré que les critiques du Hamas devraient faire l’objet de poursuites judiciaires. Cette posture illustre la stratégie du PJD de se poser en champion de la cause palestinienne, en opposition à la ligne plus pragmatique du palais royal. - Réactions :
En Algérie, la presse a exploité cet incident pour pointer du doigt les contradictions marocaines, accusant Rabat de réprimer les voix pro-palestiniennes tout en entretenant des liens avec Israël. Au Maroc, le refus du visa a exacerbé les tensions entre le PJD et le gouvernement, dirigé par le Rassemblement national des indépendants (RNI). Sur X, les réactions étaient partagées : certains saluaient la fermeté des autorités, tandis que d’autres dénonçaient une atteinte à la liberté d’expression du PJD.
4. Un appel à l’unité Maroc-Algérie tourné en dérision
En parallèle, Benkirane a profité du congrès pour réitérer son appel à une union économique et politique avec l’Algérie, un discours qui a suscité des moqueries, notamment sur les réseaux sociaux algériens. Les relations entre Rabat et Alger sont rompues depuis 2021, et des différends profonds, comme la question du Sahara occidental, rendent toute réconciliation improbable à court terme. Les déclarations de Benkirane, notamment ses allusions à des territoires algériens comme Tindouf, ont été perçues comme provocatrices, renforçant le sentiment anti-marocain en Algérie. La presse algérienne, comme TSA Algérie, a qualifié ces propos de « dérapage », tandis que les internautes y voyaient une tentative maladroite de détourner l’attention des problèmes internes du PJD.
5. Les enjeux pour le PJD et le Maroc
Le congrès de Bouznika met en lumière plusieurs dynamiques :
- Une stratégie risquée pour le PJD : En invitant des figures comme Ould Deddou et Bikin, et en tentant d’inclure le Hamas, le PJD cherche à galvaniser sa base électorale conservatrice en vue des élections de 2026. Cependant, ces choix l’exposent à des critiques internes et à un conflit ouvert avec l’État, qui garde un contrôle strict sur la politique étrangère.
- Les limites de la liberté politique : Le refus du visa à Barhoum montre que le palais royal impose des lignes rouges, même à un parti influent comme le PJD. Cela renforce l’image d’un Maroc où les décisions stratégiques restent centralisées.
- Un impact régional : Les polémiques du congrès alimentent la rhétorique anti-marocaine en Algérie, compliquant davantage la perspective d’un dialogue bilatéral. Elles soulignent aussi les défis du Maroc à concilier son soutien à la Palestine avec ses engagements internationaux.
Conclusion
Le 9e congrès du PJD, destiné à redonner du souffle à un parti en perte de vitesse, s’est transformé en un foyer de controverses. La présence de Mohamed El Hassan Ould Deddou, opposé à la souveraineté marocaine sur le Sahara, et de Doughan Bikin, critique de la normalisation avec Israël, a heurté les sensibilités nationales. Le refus d’accorder un visa à Fawzi Barhoum, représentant du Hamas, a révélé les tensions entre le PJD et l’État marocain, tandis que l’appel de Benkirane à l’unité avec l’Algérie a été tourné en dérision. Ces incidents illustrent les défis d’un parti islamiste cherchant à se repositionner dans un paysage politique dominé par des impératifs diplomatiques et des lignes rouges imposées par le pouvoir. Alors que le Maroc navigue entre ses alliances internationales et les attentes de son opinion publique, le congrès de Bouznika restera comme un symbole des contradictions et des passions qui animent la scène régionale.