Une polémique enflamme les médias maghrébins, où des journalistes tunisiens évoquent la fermeture du gazoduc Transmed, qui achemine le gaz algérien vers l’Italie via la Tunisie. Alimentée par des déclarations de commentateurs algériens affirmant que la Tunisie dépend du gaz algérien, cette idée, bien que rhétorique, révèle des tensions géopolitiques sous-jacentes dans une région où l’énergie est un levier de pouvoir. Alors que l’Algérie, la Tunisie et l’Italie sont liées par ce pipeline stratégique, cette crise médiatique met en lumière les dynamiques complexes de l’interdépendance énergétique et des rivalités régionales.
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Le Transmed : une artère énergétique stratégique
Inauguré en 1983, le gazoduc Transmed (ou Enrico Mattei) relie le gisement algérien de Hassi R’Mel à la Sicile via 370 km de territoire tunisien. Avec une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes (bcm) par an, il a transporté 26,5 bcm en 2022, faisant de l’Italie le principal client gazier de l’Algérie. Pour la Tunisie, le pipeline est une manne économique : elle perçoit une redevance de 5,25 à 6,75 % du gaz transitant, soit en gaz naturel (66 % de sa consommation) soit en devises, générant 1,828 milliard de dinars tunisiens (600 millions USD) en 2022.
Dans le contexte géopolitique post-2022, marqué par la guerre en Ukraine et la réduction des importations gazières russes, le Transmed est devenu un atout stratégique. L’Italie, cherchant à diversifier ses approvisionnements, s’appuie sur l’Algérie, qui a renforcé sa position de fournisseur clé en Europe. La Tunisie, bien que moins puissante, joue un rôle pivot grâce à sa position géographique, mais sa dépendance énergétique vis-à-vis de l’Algérie la place dans une posture délicate.
Une polémique révélatrice de frustrations régionales
La controverse a émergé dans les médias, où des commentateurs algériens ont affirmé que la Tunisie, dont 73 % de l’électricité provient du gaz algérien, serait « incapable de se chauffer » sans cette ressource. Certains ont proposé que l’Algérie construise un gazoduc direct vers l’Italie, comme le projet Galsi (Annaba-Sardaigne), pour contourner les redevances tunisiennes. En réponse, des journalistes tunisiens, relayés par des commentateurs, ont évoqué la fermeture du Transmed pour affirmer leur souveraineté énergétique, dénonçant une rhétorique algérienne perçue comme arrogante.
Cette escalade verbale reflète des tensions plus profondes. L’Algérie, forte de ses réserves gazières (2 400 bcm estimés), cherche à maximiser ses revenus et son influence en Europe, particulièrement depuis que la crise énergétique a redessiné les alliances. La Tunisie, en proie à des difficultés économiques (inflation, dette extérieure), craint d’être reléguée au rang de simple corridor énergétique, tandis que ses redevances sur le Transmed sont vitales pour sa balance commerciale. Ces frictions s’inscrivent dans un contexte maghrébin marqué par la rupture du gazoduc Maghreb-Europe (Algérie-Maroc-Espagne) en 2021, due à des différends algéro-marocains, qui a accentué les rivalités régionales.
Les enjeux géopolitiques d’une fermeture hypothétique
L’idée de fermer le Transmed, bien que non soutenue officiellement, aurait des répercussions majeures :
- Pour la Tunisie : La perte des redevances (1,369 milliard TND prévus en 2024) et de 66 % de son approvisionnement gazier aggraverait sa crise économique. Importer du gaz depuis l’Europe ou la Libye serait coûteux et logistiquement complexe, fragilisant davantage un gouvernement déjà contesté.
- Pour l’Algérie : Une interruption du Transmed couperait l’accès à l’Italie, son principal marché européen, entraînant une chute des revenus gaziers, qui représentent 30 % de son PIB. Sans alternative immédiate, comme le Galsi, l’Algérie serait contrainte de renégocier sous pression.
- Pour l’Italie : Dépendante du gaz algérien (25 bcm/an), l’Italie verrait sa sécurité énergétique menacée. Elle pourrait se tourner vers le gazoduc Greenstream (Libye) ou le TAP (Azerbaïdjan), mais ces options nécessiteraient du temps et des investissements, renforçant l’instabilité énergétique européenne.
- Pour l’Europe : Une crise autour du Transmed renforcerait les inquiétudes sur la fiabilité des approvisionnements maghrébins, poussant l’UE à accélérer sa diversification énergétique (GNL, énergies renouvelables).
Cette interdépendance, scellée par des accords renouvelés en 2019 (valables jusqu’en 2027, avec option jusqu’en 2029), rend une fermeture improbable. Cependant, la polémique révèle la vulnérabilité des infrastructures énergétiques aux tensions géopolitiques.
Le projet Galsi : un levier algérien incertain
Face aux redevances tunisiennes, l’Algérie explore le gazoduc Galsi, relancé en 2023 pour relier Annaba à la Sardaigne (8 bcm/an). Ce projet renforcerait l’autonomie énergétique algérienne et consoliderait le rôle de l’Italie comme hub gazier européen. Toutefois, les obstacles sont nombreux : un coût estimé à 3 milliards USD, des résistances environnementales en Sardaigne et des défis techniques liés à la profondeur du pipeline (3 000 m). À court terme, Galsi reste une option spéculative, incapable de remplacer le Transmed.
Une région sous tension : le Maghreb et l’énergie
Cette crise s’inscrit dans une dynamique maghrébine fracturée. La fermeture du gazoduc Maghreb-Europe en 2021, motivée par les tensions algéro-marocaines, a montré que l’énergie peut être utilisée comme une arme géopolitique. L’Algérie, en suspendant ses exportations via le Maroc, a renforcé le Transmed comme unique corridor vers l’Europe, augmentant l’importance stratégique de la Tunisie. Cependant, cette dernière, coincée entre deux géants régionaux (Algérie et Libye), lutte pour maintenir son influence.
La rivalité algéro-tunisienne est également alimentée par des divergences politiques. L’Algérie, avec son régime autoritaire et son économie gazière, contraste avec la Tunisie, démocratie fragile mais en crise économique. Les déclarations dans les médias reflètent ces divergences, les commentateurs algériens valorisant la puissance énergétique de leur pays, tandis que les Tunisiens revendiquent une souveraineté face à ce qu’ils perçoivent comme une hégémonie régionale.
Le rôle des médias dans l’amplification des tensions
La polémique autour du Transmed illustre le pouvoir des médias à transformer des frustrations locales en crises géopolitiques. Les échanges, amplifiés par des commentateurs et des journaux, ont exacerbé les sentiments nationalistes, mais aucun communiqué officiel n’a validé l’idée d’une fermeture. Cette tempête médiatique montre comment les plateformes d’information peuvent devenir des arènes de soft power, où les récits nationaux s’affrontent sans passer par les canaux diplomatiques.
Perspectives : coopération ou escalade ?
À court terme, la coopération devrait prévaloir. L’Algérie et la Tunisie ont une histoire de négociations réussies autour du Transmed, comme le traité de 1983 ou les accords de 2019. L’Italie, en tant que tiers bénéficiaire, jouera probablement un rôle de médiateur pour sécuriser ses approvisionnements. À long terme, cependant, l’Algérie pourrait pousser pour des projets comme Galsi, tandis que la Tunisie cherchera à diversifier ses revenus énergétiques, par exemple via des énergies renouvelables.
Cette crise met en évidence la nécessité d’une intégration énergétique maghrébine, freinée par les rivalités politiques. Un marché régional commun, comme envisagé par l’Union du Maghreb arabe (UMA), pourrait réduire les tensions, mais les divergences entre Alger, Tunis et Rabat rendent cet objectif lointain.
Conclusion
La polémique autour du Transmed, bien que confinée aux médias, révèle les fragilités géopolitiques du Maghreb. Dans une région où l’énergie est à la fois une ressource et une arme, l’interdépendance entre l’Algérie, la Tunisie et l’Italie impose la prudence. Si les passions médiatiques ont amplifié les tensions, les réalités économiques et les accords existants devraient maintenir le statu quo. Toutefois, cette crise rappelle que la stabilité énergétique régionale reste à la merci des rivalités nationales et des aléas du discours public. Dans un monde en quête de sécurité énergétique, le Transmed demeure un test de la capacité du Maghreb à coopérer face aux pressions géopolitiques.