À l’occasion du jour de l’indépendance de la Tunisie, le 20 mars, un fait a retenu l’attention des observateurs de la scène maghrébine : le roi Mohammed VI du Maroc n’a pas adressé de message de félicitations au président tunisien Kaïs Saïed. Ce silence, loin d’être anodin, traduit un profond malaise diplomatique entre Rabat et Tunis, qui s’est aggravé au fil des mois, notamment en raison du rapprochement stratégique entre la Tunisie et l’Algérie.
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Une tradition rompue
Dans les usages diplomatiques, l’échange de messages à l’occasion des fêtes nationales est une pratique courante entre chefs d’État, particulièrement entre pays voisins ou historiquement liés. Le Maroc et la Tunisie partagent non seulement une histoire postcoloniale similaire, mais aussi des liens économiques, culturels et humains étroits. L’absence de félicitations du roi représente donc une rupture symbolique d’un certain ordre diplomatique régional.
Une détérioration progressive des relations
La tension entre Rabat et Tunis ne date pas d’hier. Elle s’est fortement accentuée depuis l’accueil controversé, en août 2022, par le président Kaïs Saïed du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, à l’aéroport de Tunis, à l’occasion du sommet TICAD 8. Ce geste a été perçu comme un acte hostile par le Maroc, qui considère le Polisario comme un mouvement séparatiste soutenu par l’Algérie contre sa souveraineté sur le Sahara Occidental. En réponse, Rabat avait rappelé son ambassadeur à Tunis, provoquant une crise diplomatique ouverte.
Analyse des causes profondes
1. Le rapprochement tuniso-algérien
Sous la présidence de Kaïs Saïed, la Tunisie a clairement renforcé ses liens avec Alger, tant sur le plan politique qu’économique. L’Algérie, principal soutien du Polisario, cherche à consolider un axe stratégique avec Tunis, qui lui permettrait d’asseoir son influence régionale. Ce rapprochement s’est accéléré depuis la crise sociale et économique que traverse la Tunisie, la poussant à chercher un appui direct auprès de ses voisins immédiats.
2. Une stratégie régionale de repositionnement
Le Maghreb est aujourd’hui traversé par des lignes de fracture géopolitiques. Alors que le Maroc s’appuie sur des partenariats solides avec les États du Golfe, les États-Unis et plusieurs pays africains, la Tunisie semble de plus en plus alignée avec l’axe Alger-Téhéran-Moscou, rompant ainsi avec sa position de neutralité traditionnelle. Cette dynamique accentue la méfiance entre les deux royaumes.
3. Un isolement croissant de Kaïs Saïed
Le président tunisien, critiqué pour sa gouvernance autoritaire et ses relations tendues avec l’Union européenne, multiplie les alliances régionales pour compenser son isolement international. L’Algérie représente, dans ce contexte, un allié stratégique. Ce choix diplomatique a un coût : l’éloignement de partenaires historiques comme le Maroc.
Un avenir régional fragilisé
L’absence de félicitations du roi Mohammed VI à Kaïs Saïed n’est donc pas un simple oubli protocolaire. Elle scelle une étape supplémentaire dans la dégradation des relations entre deux pays qui auraient pourtant tout à gagner à coopérer dans une région maghrébine déjà fragmentée. Ce climat tendu hypothèque encore un peu plus les espoirs de relance de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), dont le blocage structurel est renforcé par ces rivalités bilatérales.
Conclusion
Le silence du Maroc est le reflet d’une crise plus large, où la diplomatie maghrébine se fragmente sous l’effet des rivalités anciennes et des réalignements géostratégiques récents. Le parti pris tunisien en faveur de l’Algérie ne fait qu’approfondir la fracture avec Rabat. Tant que la question du Sahara Occidental continuera de polariser les alliances régionales, le Maghreb restera prisonnier de ses divisions, au détriment de ses peuples.