Sous la présidence de Kaïs Saïed, la Tunisie semble s’éloigner de la neutralité prudente qui caractérisait sa diplomatie depuis des décennies. La participation remarquée d’une délégation du Polisario à une conférence organisée à Tunis en avril 2025 cristallise cette évolution, suscitant une réaction immédiate du Maroc et ravivant les tensions régionales.
En avril 2025, Ayoub Mohamed Sidi, cadre du ministère de la Jeunesse et des Sports de la RASD, prend part à la conférence « Construire la cohésion sociale dans un monde en mutation », organisée par l’ONG NOVACT. Cette présence, perçue par Rabat comme une provocation, s’inscrit dans une série d’initiatives qui traduisent une inflexion nette de la politique tunisienne en faveur du Front Polisario, au grand dam du Maroc.
Cette rupture n’est pas nouvelle. Déjà en août 2022, lors de la TICAD8, Kaïs Saïed avait choqué en accueillant Brahim Ghali, chef du Polisario, avec les honneurs réservés à un chef d’État. Une décision qui avait provoqué une grave crise diplomatique, marquée par le rappel de l’ambassadeur marocain.
Historiquement, la Tunisie a toujours veillé à ménager un équilibre entre Rabat et Alger, refusant de prendre parti dans le dossier du Sahara occidental. De Bourguiba à Essebsi, la ligne tunisienne a privilégié la médiation. L’ère Saïed rompt avec cette tradition, et le rapprochement apparent avec l’Algérie semble désormais assumé, malgré ses conséquences sur la cohésion maghrébine.
Sur le plan économique, cette posture diplomatique intervient alors que la Tunisie traverse une période délicate. Selon le FMI, la croissance tunisienne devrait atteindre seulement 1,6 % en 2025, contre 3,5 % pour l’Algérie et 3,6 % pour le Maroc. Ce décalage souligne la fragilité de l’économie tunisienne, d’autant plus isolée dans une région marquée par la concurrence et les tensions politiques.
Au-delà des chiffres, cette inflexion diplomatique remet en cause un héritage historique riche. La Tunisie, berceau de grandes figures comme Hannibal Barca ou Ibn Khaldoun, et forte de ses liens séculaires avec le Maroc – illustrés par la fondation de l’université Al Quaraouiyine par une Kairouanaise – s’éloigne d’une image de pont entre les peuples pour adopter une posture plus clivante.
Cette orientation pourrait affecter durablement les dynamiques régionales. La perspective d’une relance de l’Union du Maghreb arabe, déjà paralysée, s’éloigne encore davantage. Les choix diplomatiques de Tunis semblent ainsi condamner la région à une fragmentation prolongée, au détriment des intérêts économiques et stratégiques communs.
À l’échelle intérieure, cette politique étrangère est également critiquée. Des voix tunisiennes, comme celle de l’ancien président Moncef Marzouki, dénoncent une dérive isolationniste qui affaiblit l’image internationale du pays et compromet ses perspectives de développement.
En conclusion, en accueillant à nouveau le Polisario sur son sol, la Tunisie de Kaïs Saïed tourne le dos à sa tradition de neutralité et s’expose à des tensions croissantes avec ses voisins. Cette orientation diplomatique, conjuguée aux défis économiques internes, pourrait avoir des conséquences durables pour la stabilité et l’influence régionale de la Tunisie.